Penser la sphère
INTRODUCTION
Depuis quelques décennies nous assistons à l’émergence d’une sensibilité partagée de tous. Nous pourrions la désigner par sensibilité écologique, environnementale, atmosphérique même, relative à l’annonciation d’un new age, ou plus simplement, à la fin de l’histoire, si l’on se réfère à la pensée postmoderne, que l’on définit de manière plus raisonnable, et vital, selon une portée biopolitique, en terme de développement durable. L’un des symboles qui cristallise et agrège toutes ces acceptions a priori disparates serait la sphère et ce texte aura la gageure de perpétrer cette discussion depuis longtemps engagée.
Cette figure archétypale semble être l’une des clés de compréhension des usages contemporains de l’auto construction. Car la sphère, enfin toutes les formes ovoïdes et courbes issues de la Nature, est le plus sûr moyen permettant d’accéder à une pensée de l’espace. En effet, les espaces dans lesquels nous sommes inscrits ne sont pas vides, mais au contraire chargés d’un imaginaire fédérateur et dense, reflet des considérations contemporaines.
Aux côtés des formes parallélépipédiques communément utilisées en architecture, cette forme détiendrait au sein de l’imaginaire collectif une place significative. Arrondir les angles droits, courber ce qui est rectiligne, introduirait un paradoxe que nous pourrions résumer en ces termes : les formes hémisphériques ont cette particularité d’émanciper l’être humain de son propre milieu, pour s’y enfermer, et a contrario, la sphère nous offre un des éléments réflexifs nous permettant d’accéder au cosmos, telle que la voûte étoilée du ciel, les coupoles byzantines, et faire que l’intérieur est topologiquement renversé pour devenir un extérieur.
A cet égard, cette forme est l’une des conditions sine qua none contemporaine d’une reconsidération complète, cette fois-ci humble et respectueuse, du milieu avec lequel nous interagissons. De cette sensibilité renforcée ou du moins redécouverte, si l’on s’en tient au fait que certaines connaissances ont été occultées au profit des sciences modernes, naît le désir de construire soi-même son habitat en correspondance, en syntonie avec le milieu. L’humain ne recherche plus depuis longtemps à s’adapter à son milieu, mais il crée désormais les conditions optimales atmosphériques et ergonomiques de sa propre survivance.
Dans ce texte nous proposerons de toucher les résurgences imaginaires de cette sphère, et ainsi accéder à ce qui se trame actuellement. Les utopies deviendraient réalisables, et devant les dystopies ambiantes, sur fond de réchauffement climatique, nous revenons à un imaginaire issu du quotidien que Michel Foucault désigne par hétérotopie. Tout ceci contribue à un retour à la terre, au carpe diem du terroir, à la territorialisation du lieu, enfin à l’ici et maintenant. Pour le sociologue Michel Maffesoli le « lieu fait le lien » lorsque l’on observe de près les socialités contemporaines. Le célèbre axiome « La carte n’est pas le territoire » d’Alfred Korsybski, père de la sémantique générale, nous permet de soupeser toute l’inconscience de certaines décisions politiques et économiques abstraites, qui prises à distance n’auraient portées, ne serait-ce qu’un seul regard, sur le terrain. Et finalement, nous ne devrions pas oublier que « la ville est une carte habitée », en modifiant quelque peu le titre d’un texte de l’historienne de l’art Marie Ange Brayer.
Frédéric LEBAS, Penser la sphère. Avant propos de Le Dôme, Habiter le rond, ouvrage collectif sur les auto-constructions de dômes géodésiques, sous la direction de Jean Soum, Auto édition, 2010.